CHAPITRE DEUX

Furtivement, l’employé lisait la dernière édition du London Herald, les pages pliées et soigneusement dissimulées sous son bureau de bois laqué. Le bureau était très calme ; la réunion du conseil d’administration était en cours. Dans une pièce voisine, retentissait le claquement d’une machine à écrire.

 

LA MALÉDICTION DE LA MOMIE TUE LE MAGNAT

DE LA STRATFORD SHIPPING

« RAMSÈS LE DAMNÉ » FRAPPE CEUX

QUI TROUBLENT SON REPOS

 

La tragédie faisait appel à l’imagination du public. Impossible de faire un pas sans tomber sur la une d’un journal. Les feuilles de chou se complaisaient à présenter des illustrations représentant des pyramides et des chameaux, la momie dans son cercueil de bois et le pauvre Lawrence Stratford gisant à ses pieds.

Ce pauvre M. Stratford, auprès de qui travailler était un plaisir, mais qui n’intéressait plus que par cette mort sensationnelle.

La sensation était à peine retombée qu’un nouveau titre la relançait déjà :

 

L’HÉRITIÈRE DÉFIE LA MALÉDICTION

DE LA MOMIE

« RAMSÈS LE DAMNÉ » EN VISITE À LONDRES

 

L’employé tourna la page et la replia. Difficile à croire que Mlle Stratford rapportait au pays tous les trésors pour qu’ils soient présentés à son domicile de Mayfair, mais c’était ainsi que son père avait toujours pratiqué.

L’employé espérait être invité à la réception, mais c’était en fait très improbable, même si cela faisait bien une trentaine d’années qu’il travaillait à la Stratford Shipping.

Vous vous rendez compte, un buste de Cléopâtre, le seul portrait authentifié que l’on ait d’elle. Et des pièces nouvellement frappées à son image. Ah, il aurait voulu admirer ces merveilles dans la bibliothèque de M. Stratford, mais il lui faudrait attendre que le British Museum récupère la collection et la présente au commun des mortels.

Il y avait aussi des choses qu’il aurait pu dire à Mlle Stratford, si l’occasion lui en avait été donnée, des choses que le vieux M. Lawrence aurait peut-être aimé qu’elle apprît.

Par exemple, que Henry Stratford n’avait pas mis les pieds au bureau depuis un an, mais qu’il continuait de percevoir primes et salaire ; que M. Randolph tirait pour lui des chèques sur le compte de la compagnie avant de falsifier les livres de comptes.

Mais peut-être la jeune femme découvrirait-elle tout cela par elle-même. Le testament lui donnait les pleins pouvoirs. Et c’était pour cela qu’elle se tenait dans la salle du conseil d’administration en compagnie de son fiancé, Alex Savarell, vicomte Summerfield.

 

Randolph ne supportait pas de la voir pleurer ainsi. C’était terrible que de devoir lui demander de signer des papiers. Elle paraissait extrêmement fragile dans ses vêtements de deuil. Elle avait les traits tirés et tremblait comme si elle avait de la fièvre. Ses yeux étaient baignés de cette étrange lumière qu’il y avait vue pour la première fois lorsqu’elle lui avait annoncé la mort de son père.

Les autres membres du conseil étaient plongés dans le silence et se tenaient les yeux baissés. Alex la tenait doucement par le bras. Il paraissait étonné, comme si la mort était une chose qu’il ne comprenait pas ; la vérité était plus simple, il ne voulait pas qu’elle souffre. Une âme simple. Qui n’avait rien à voir avec ces marchands et ces hommes d’affaires. Un aristocrate de porcelaine avec son héritière.

Pourquoi devons-nous endurer tout ceci ? Pourquoi ne pas nous laisser seuls avec notre chagrin ?

Pourtant Randolph faisait seulement ce qu’il convenait de faire, même si tout cela n’eût jamais paru aussi absurde. Son amour pour son fils unique n’avait jamais autant souffert.

« Il m’est impossible de prendre des décisions, oncle Randolph, lui dit-elle poliment.

— Bien sûr, ma chérie, répondit-il. Rien ni personne ne te presse. Si tu voulais seulement signer cette décharge pour les fonds d’urgence et nous laisser prendre soin de tout le reste…

— Je veux m’occuper de tout, dit-elle, je veux avoir un œil sur tout. C’est ce que père désirait. Ce problème avec les comptoirs indiens, je ne comprends pas comment on a pu en arriver là. »

Elle s’arrêta de parler comme si elle ne voulait pas discuter affaire pour le moment, comme si elle en était incapable, et les larmes lui vinrent aux yeux.

« Laisse-moi faire, dit-il d’un air las. J’ai l’habitude des soulèvements aux Indes. »

Il poussa vers elle les documents. Signe, je t’en prie, signe. Ne demande pas d’explications. N’ajoute pas l’humiliation à la douleur.

Car, bien que cela pût paraître étonnant, il était très affligé par la mort de son frère. Nous ne savons pas ce que nous éprouvons pour nos proches tant qu’ils ne nous ont pas été enlevés. Il avait passé la nuit à ressasser des souvenirs… leur jeunesse à Oxford, les premiers voyages en Égypte – Randolph, Lawrence, Elliott Savarell. Les nuits du Caire. Il s’était levé tôt et avait fouillé parmi de vieilles lettres, de vieilles photographies. Des souvenirs si merveilleusement vivants.

Et maintenant, sans haine ni calcul, il essayait de tromper la fille de Lawrence. Il essayait de faire passer dix années de mensonges et de trahison. Lawrence avait édifié la Stratford Shipping parce que l’argent ne l’intéressait pas vraiment. Oh, ces risques que Lawrence prenait parfois ! Et que faisait Randolph depuis qu’il était le responsable numéro un ? Tenir les rênes et voler, c’était tout.

À son grand étonnement, Julie prit la plume et apposa rapidement son nom sur divers documents, sans même prendre la peine de les lire. Au moins, il éviterait pendant un certain temps les inévitables questions.

Excuse-moi, Lawrence. On eût dit une prière silencieuse. Peut-être que si tu connaissais le fin fond de l’histoire…

« Dans quelques jours, oncle Randolph, je veux tout passer en revue en votre compagnie. Je crois que c’est ce que père désirait. Mais je suis si lasse, il est vraiment temps que je rentre.

— Oui, je vais vous raccompagner », s’empressa de dire Alex en l’aidant à se lever.

Ce cher Alex. Pourquoi mon fils n’a-t-il pas la moindre parcelle de cette élégance morale ? Le monde entier lui aurait appartenu.

Randolph s’empressa d’ouvrir la porte à double battant. À son grand étonnement, il découvrit les hommes du British Museum qui attendaient. Embêtant, cela. S’il avait su, il lui aurait fait emprunter une autre issue. Il n’aimait pas l’onctueux M. Hancock, qui se comportait comme si toutes les découvertes de Lawrence appartenaient à son musée.

« Mademoiselle Stratford, dit l’homme en s’approchant de Julie. Tout a été approuvé. La première présentation de la momie aura lieu en votre domicile, ainsi que votre père l’aurait souhaité. Nous répertorierons tout, bien entendu, et nous transférerons la collection au musée dès que vous le demanderez. J’ai pensé que vous aimeriez avoir mon assurance personnelle…

— Oui », dit Julie d’un air las. Visiblement, cela ne l’intéressait pas plus que la réunion du conseil d’administration.

« Je vous suis reconnaissante, monsieur Hancock. Vous savez quelle importance cette découverte revêtait pour mon père. »

Elle hésita un instant, comme si elle allait se mettre à pleurer. Cela n’aurait pas été étonnant, d’ailleurs.

« J’aurais tant aimé être à ses côtés en Égypte.

— Ma chérie, il est mort au comble du bonheur, dit platement Alex. Et parmi les objets qu’il aimait. »

De belles paroles. Lawrence avait été trompé. Il n’avait profité que quelques heures de sa formidable découverte. Cela, même Randolph pouvait le comprendre.

Hancock prit le bras de Julie. Ils marchèrent vers la porte.

« Naturellement, il est impossible d’authentifier les vestiges tant que nous n’aurons pas procédé à un examen approfondi. Les monnaies, le buste, ce sont là des pièces sans précédent aucun…

— Nous n’aurons pas d’exigences extravagantes, monsieur Hancock. Je désire simplement organiser une petite réception avec les plus vieux amis de père. »

Elle lui offrit sa main afin de lui donner congé. Elle savait faire preuve de fermeté, exactement comme son père. Exactement comme le comte de Rutherford, si l’on y pensait bien. Ses manières avaient toujours été aristocratiques. Si seulement ce mariage pouvait avoir lieu…

« Au revoir, oncle Randolph. »

Il se pencha pour l’embrasser sur la joue.

« Je t’aime, ma chérie », murmura-t-il.

Cela le surprit. De même que le sourire qui éclaira le visage de sa nièce. Avait-elle compris ce qu’il voulait lui dire ? Je suis désolé, désolé pour tout, ma chérie.

 

Seule enfin dans les escaliers de marbre. Ils étaient tous partis sauf Alex et, au plus profond de son cœur, elle aurait voulu qu’il fût parti, lui aussi. Seul lui importait le calme de sa Rolls-Royce, dont les vitres la coupaient du tumulte du monde extérieur.

« Je ne vous dirai cela qu’une seule fois, Julie, lui glissa Alex en l’aidant à descendre les marches. Mais c’est mon âme qui vous parle. Ne laissez pas cette tragédie reculer notre mariage. Je connais vos sentiments, mais vous êtes seule dans cette maison désormais. Et je veux être à vos côtés, je veux prendre soin de vous. Je veux que nous soyons mari et femme.

— Alex, dit-elle, je vous mentirais en vous disant que je puis prendre une décision dès aujourd’hui. Plus que jamais, j’ai besoin de temps pour réfléchir. »

Soudain, elle ne put supporter de le regarder. Il paraissait si jeune ! Avait-elle jamais été aussi jeune ? Cette question aurait peut-être fait sourire l’oncle Randolph. Elle avait vingt et un ans. Mais Alex, avec ses vingt-cinq ans, lui faisait l’effet d’un garçonnet. Et cela lui faisait mal de ne pas l’aimer autant qu’il le méritait.

La clarté solaire lui fit mal aux yeux quand il ouvrit la porte donnant sur la rue. Elle abaissa le voile épinglé à son chapeau. Il n’y avait pas de reporters, Dieu merci, rien que la grande automobile noire qui l’attendait, sa portière ouverte.

« Je ne serai pas seule, Alex, dit-elle doucement. J’ai Rita et Oscar. Et Henry va reprendre son ancienne chambre. Mon oncle Randolph a insisté sur ce point. J’aurai plus de compagnie que nécessaire. »

Henry. La dernière personne au monde qu’elle eût envie de voir, c’était bien Henry. Le dernier homme que Lawrence ait vu avant de fermer les yeux à tout jamais, quelle ironie !

 

Les reporters assaillirent Henry Stratford dès qu’il mit le pied à terre. Avait-il redouté la malédiction de la momie ? Avait-il assisté à quelque manifestation du surnaturel dans la chambre où Lawrence Stratford avait trouvé la mort ? Henry franchit la douane sans dire un mot, sans se préoccuper du brouhaha et de la fumée des flashes. Avec une impatience glacée, il toisa les douaniers qui examinèrent ses bagages avant de lui faire signe de passer.

Le sang battait à ses tempes. Il avait envie d’un verre. De la tranquillité de sa maison de Mayfair. De sa maîtresse, Daisy Banker. Il avait envie de n’importe quoi, en fait, sauf de ce trajet en voiture aux côtés de son père. Il évita le regard de Randolph lorsqu’il monta à l’arrière de la Rolls.

Seigneur, son père avait une allure effroyable, comme s’il avait vieilli de dix années en une seule nuit. Il était même un peu décoiffé.

« Vous avez une cigarette ? » demanda brusquement Henry.

Sans même le regarder, son père produisit un petit cigare et un briquet.

« Ce mariage constitue toujours l’essentiel, murmura Randolph comme s’il se parlait à lui-même. Une jeune mariée n’a pas le temps de penser aux affaires. Pour l’heure, je me suis organisé pour que tu vives auprès d’elle. Elle ne peut pas rester seule.

— Voyons, père, nous sommes au XXe siècle ! Pourquoi diable ne peut-elle rester seule ? »

Seule, dans cette maison, avec cette momie répugnante exposée dans la bibliothèque ? Cela le rendait malade. Il ferma les yeux, savoura son cigare et pensa à sa maîtresse. Une série d’images érotiques très précises s’imposa à lui.

« Tu feras ce que je te dis de faire », insista son père.

Sa voix manquait de conviction. Randolph regardait par la vitre.

« Tu resteras auprès d’elle, tu la surveilleras et tu feras tout ton possible pour qu’elle consente à ce mariage. Assure-toi qu’elle ne s’éloigne pas d’Alex. Je crois qu’Alex commence un peu à l’irriter.

— Pas très étonnant. Si Alex avait un peu de jugeote…

— Ce mariage est bon pour elle. Il est bon pour tout le monde, d’ailleurs.

— Oui, oui, d’accord. »

La voiture roulait en silence. Il dînerait avec Daisy, puis il se reposerait chez lui avant de se rendre chez Flint, au cercle de jeux – enfin, si son père pouvait lui donner tout de suite un peu d’argent liquide…

« Il n’a pas souffert, n’est-ce pas ? »

Henry eut un geste d’étonnement.

« Quoi ? De quoi parlez-vous ?

— Ton oncle, dit Randolph en se tournant vers lui pour la première fois, Lawrence Stratford. Est-ce qu’il a souffert, pour l’amour du Ciel, ou est-ce qu’il est parti paisiblement ?

— Il allait tout à fait bien, et puis, la seconde d’après, il gisait à terre. Il a été emporté très rapidement. Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Tu es si sensible…

— Je n’ai rien pu faire. »

Un instant, il retrouva l’atmosphère de la chambre close, l’odeur âcre du poison. Et cette chose, cette chose dans son cercueil, cette impression étrange d’être observé.

« C’était un vieil imbécile, entêté de surcroît, dit très doucement Randolph, mais je l’aimais bien.

— Vraiment ? lança Henry en regardant son père droit dans les yeux. Il lui a tout légué à elle, et tu l’aimais bien ?

— Il nous a donné beaucoup à tous les deux il y a longtemps de cela. Cela aurait dû nous suffire…

— C’est une misère comparé à ce qu’elle a hérité !

— Je ne veux pas discuter de cela. »

— Patience, se dit Henry. Patience. Il s’adossa au cuir de couleur grise. Il me faut au moins cent livres et je ne les obtiendrai pas ainsi.

 

Daisy Banker observait à travers les rideaux de dentelle Henry qui descendait du taxi. Elle habitait un long appartement situé au-dessus du music-hall où elle chantait tous les soirs, de dix heures à deux heures du matin. C’était une femme épanouie comme un beau fruit, avec ses grands yeux bleus somnolents et ses cheveux blond platiné. Sa voix n’était pas extraordinaire, elle le savait bien, mais ils l’aimaient, oui, ils l’aimaient beaucoup.

Et elle aimait Henry Stratford, du moins le croyait-elle. C’était certainement la meilleure chose qui lui fût arrivée. Il lui avait trouvé son engagement et il réglait le loyer, il était censé le faire en tout cas. Elle savait qu’il avait quelques dettes, mais il revenait tout juste d’Égypte et saurait faire taire tous ceux qui lui poseraient des questions trop indiscrètes. En cela il excellait.

Elle courut vers le miroir lorsqu’elle entendit son pas dans l’escalier. Elle lissa le col orné de plumes de son peignoir et remit en place les perles de son collier. Elle se pinçait les joues pour les faire rougir quand la clef tourna dans la serrure.

« Ah, je ne pensais plus te revoir », dit-elle d’un air dégagé alors qu’il pénétrait dans la pièce.

Quelle allure ! Il lui faisait toujours autant d’effet. Il était si beau, avec ses yeux et ses cheveux bruns. Et ses manières, un vrai gentleman ! Elle aimait sa façon d’ôter sa cape et de la jeter négligemment sur le fauteuil avant de l’inviter à venir dans ses bras. Il était si indolent, si imbu de soi. Pourquoi ne le serait-il pas ?

« Et ma voiture automobile ? Tu m’en as promis une avant de partir. Où est-elle ? Tu es arrivé en taxi. »

Il y avait quelque chose de si froid dans son sourire. Quand il l’embrassa, ses lèvres lui firent un peu mal ; et ses doigts s’enfoncèrent dans la chair tendre de son bras. Elle sentit un vague frisson lui remonter la colonne vertébrale. Sa bouche frémit. Elle l’embrassa à son tour et, quand il l’entraîna dans la chambre, elle ne dit pas un mot.

« Oui, je t’offrirai ton automobile », lui murmura-t-il à l’oreille.

Il lui arracha son peignoir et la pressa contre lui, les pointes de ses seins effleurèrent l’étoffe de sa chemise amidonnée. Elle lui embrassa la joue, puis le menton, léchant sa barbe naissante. Que c’était agréable de le sentir respirer ainsi, de sentir ses mains sur ses épaules !

Le téléphone sonna. Elle l’aurait arraché du mur.

Elle lui déboutonna sa chemise tandis qu’il répondait.

« Sharples, je vous ai déjà dit de ne pas rappeler. »

Ce type était immonde, pensa-t-elle misérablement, elle aurait voulu le voir mort. Elle avait travaillé pour Sharples avant que Henry ne vînt à son secours. Ce Sharples était un être mesquin, tout d’un bloc. Il lui avait laissé sur la nuque une petite cicatrice en forme de croissant de lune.

« Je vous ai dit que je vous paierais dès mon retour, me semble-t-il. Laissez-moi au moins le temps de défaire mes malles ! »

Il raccrocha violemment.

« Viens me voir, mon chéri », dit-elle en s’asseyant sur le lit.

Mais son regard s’assombrit quand elle le vit contempler fixement le combiné. Il était fauché, n’est-ce pas ? Vraiment fauché.

 

Étrange. Il n’y avait pas eu de veillée dans la maison pour son père. Et maintenant, le cercueil peint de Ramsès le Grand franchissait lentement la porte à double battant du salon, comme porté par des employés des pompes funèbres, pour entrer dans la bibliothèque, cette pièce que son père avait toujours appelée le salon égyptien. Une veillée funèbre pour une momie ; et celui qui aurait dû mener le deuil était absent.

Julie vit Samir donner aux hommes du musée l’ordre de placer le cercueil debout dans le coin sud-est, à gauche des portes du jardin d’hiver. Une position parfaite. Tous ceux qui entreraient dans la maison le verraient immédiatement. Tous ceux qui se trouveraient dans le salon pourraient l’admirer. Et la momie elle-même semblerait embrasser du regard les personnes assemblées pour lui rendre hommage quand le couvercle serait ôté, que le corps apparaîtrait enfin.

Les rouleaux et les pots d’albâtre seraient disposés sur la longue table de marbre, sous le miroir, à gauche du cercueil vertical, le long du mur est. Le buste de Cléopâtre était déjà placé sur un piédestal au centre de la pièce. Les pièces d’or seraient présentées dans une vitrine, à côté de la table de marbre, et les autres trésors le seraient au gré de Samir.

Le doux soleil d’après-midi traversait le jardin d’hiver et projetait des ombres dansantes sur le masque d’or du visage du roi et sur ses bras croisés.

C’était une pure merveille, et seul un insensé eût pu douter de la valeur d’un tel trésor. Mais quelle signification avait toute cette histoire ?

Oh, si seulement ils pouvaient tous partir, se dit Julie, et la laisser seule. Mais les hommes ne cesseraient d’examiner les pièces de l’exposition. Et Alex, que faire d’Alex, qui se tenait à ses côtés et ne la laissait pas tranquille un seul instant ?

Certes, elle avait été heureuse de voir Samir, même si la douleur de cet homme avait attisé sa propre douleur.

Il paraissait guindé, mal à l’aise, dans son costume noir et sa chemise d’Occidental. Paré de la soie de ses robes indigènes, c’était un prince aux yeux sombres, très éloigné des contraintes de ce siècle insensé et de sa marche forcenée vers le progrès. Ici, il paraissait étranger et presque servile en dépit de la façon impérieuse avec laquelle il commandait aux ouvriers.

Alex regardait d’une étrange façon les ouvriers et leurs reliques. Ces choses ne signifiaient rien pour lui, elles avaient trait à quelque autre monde. Il leur trouvait pourtant de la beauté.

« Je me demande s’il y a une malédiction, dit-il dans un souffle.

— Allons, ne soyez pas ridicule, répondit Julie. Ils vont travailler pendant quelque temps. Nous pourrions aller prendre le thé dans le jardin d’hiver.

— C’est une merveilleuse idée », dit-il.

C’était du dégoût qu’il y avait sur son visage, pas de la confusion. Il n’éprouvait rien devant ces trésors. Ils lui étaient étrangers, indifférents. Elle aurait éprouvé la même chose à la contemplation d’une machine moderne à laquelle elle ne comprenait rien.

Cela l’attristait. En réalité, tout la rendait triste à présent et par-dessus tout le fait que son père n’ait passé que si peu de temps auprès de ces trésors, qu’il soit mort le jour même de leur découverte. C’était à elle qu’il revenait de savourer chacun des articles exhumés dans cette tombe aussi mystérieuse que controversée.

Après le thé, peut-être. Alex comprendrait son désir de rester seule. Elle l’entraîna dans le couloir, ils franchirent les portes des salons, celles de la bibliothèque, puis l’alcôve de marbre qui donnait sur le jardin d’hiver.

C’était l’endroit favori de père lorsqu’il ne travaillait pas dans la bibliothèque. Son bureau et ses livres ne se trouvaient qu’à quelques mètres de lui, par-delà les portes vitrées.

Ils s’assirent à la table d’osier. Le soleil jouait merveilleusement sur le service à thé en argent disposé devant eux.

« Faites le service, je vous en prie », lui dit-elle.

Elle disposa les petits gâteaux sur les assiettes. Il avait enfin à faire quelque chose qu’il comprenait.

Avait-elle jamais connu quelqu’un qui fit si bien toutes ces petites choses ? Alex savait monter à cheval, danser, chasser, offrir le thé, préparer de délicieux cocktails américains et se plier sans hésitation au protocole compliqué de Buckingham Palace. Il lui arrivait de lire un poème en simulant une émotion qui la faisait pleurer. En outre, il embrassait très bien, et le mariage avec lui serait certainement plein de tendres instants. Certainement. Mais à part cela ?

« Buvez, ma chérie, vous en avez besoin », dit Alex en lui tendant une tasse.

Elle était préparée comme elle l’aimait, sans lait, sans sucre. Rien qu’avec une tranche de citron.

Elle eut l’impression que la lumière se modifiait autour d’elle. Une ombre passa. Elle leva les yeux et constata que Samir était entré dans le jardin d’hiver sans faire le moindre bruit.

« Samir, asseyez-vous, joignez-vous à nous. »

Samir la pria de rester assise. Il tenait à la main un carnet relié pleine peau.

« Julie, dit-il en se tournant délibérément vers le salon égyptien. Je vous ai apporté le journal de votre père. Je ne voulais pas le confier aux gens du musée.

— Oh, j’en suis si heureuse. Joignez-vous à nous, je vous en prie.

— Non, je dois retourner de suite à mon travail. Je veux m’assurer que tout se passe dans l’ordre. Vous devez lire ce journal, Julie. Les journaux n’ont publié qu’une parcelle de cette histoire. Vous en saurez davantage…

— Venez, asseyez-vous, insista-t-elle. Nous verrons cela plus tard. »

Après un moment d’hésitation, il obtempéra. Il prit une chaise à côté d’elle et adressa un signe de tête poli à Alex, à qui il avait été précédemment présenté.

« Julie, votre père venait tout juste de commencer ses traductions. Vous connaissez sa maîtrise des langues anciennes…

— Oui, je suis impatiente de lire cela, mais vous ne semblez pas à l’aise ? Qu’y a-t-il ? »

Samir se livra.

« Julie, je suis troublé par cette découverte. Je suis troublé par cette momie et par les poisons enfermés dans cette tombe.

— S’agit-il vraiment des poisons de Cléopâtre ? s’empressa de dire Alex. Ou n’est-ce qu’une invention des reporters ?

— Nul ne peut le dire, répondit poliment Samir.

— Samir, tout est soigneusement répertorié, dit Julie. Les serviteurs ont reçu des ordres très précis.

— Vous ne croyez tout de même pas à cette malédiction ? » demanda Alex.

Samir eut un sourire poli.

« Non. Néanmoins, ajouta-t-il en se tournant vers Julie, promettez-moi de m’appeler immédiatement au musée si vous voyez quelque chose d’étrange, si vous avez le moindre pressentiment.

— Mais, Samir, je ne pensais pas que vous…

— Julie, les malédictions sont rares en Égypte, dit-il vivement. Et les admonestations inscrites sur ce cercueil sont particulièrement graves. Quant à l’histoire de l’immortalité de cette créature, vous trouverez plus de détails dans ce carnet.

— Samir, vous ne croyez tout de même pas que père a été victime d’une malédiction ?

— Non, mais les objets découverts dans cette tombe défient toute explication. Sauf si l’on croit… Mais non, c’est absurde. Je vous demande de ne rien prendre pour argent comptant. Et appelez si vous avez besoin de moi. »

Il prit brusquement congé pour regagner la bibliothèque. Elle l’entendit parler arabe avec l’un des ouvriers. Elle les regarda, un peu gênée, à travers les portes vitrées.

Le chagrin, se dit-elle. C’est une émotion étrange et mal comprise. Il a du chagrin pour mon père, autant que moi, et cela lui gâche le plaisir de la découverte. Comme tout cela doit lui être difficile.

Il aurait été si heureux si… Elle n’éprouvait pas tout à fait la même chose. Ce qu’elle désirait par-dessus tout, c’était rester seule avec Ramsès le Grand et sa Cléopâtre. Mais elle le comprenait. La douleur que lui inspirait la mort de père serait toujours là. Elle ne voulait pas vraiment la voir s’atténuer. Elle se tourna vers Alex, ce pauvre garçon qui la regardait sans comprendre.

« Je vous aime, murmura-t-il brusquement.

— Mon Dieu, mais qu’est-ce qui vous prend ? » dit-elle en riant doucement.

Il paraissait déconcerté. Son beau fiancé souffrait vraiment, elle ne pouvait le supporter.

« Je ne sais pas, dit-il. Peut-être ai-je un pressentiment ? C’est comme cela que vous diriez ? Je veux seulement vous rappeler… que je vous aime.

— Oh, Alex, mon cher Alex. »

Elle se pencha pour l’embrasser.

 

Sur la coiffeuse de Daisy, la petite horloge sonna six heures.

Henry s’étira avant de prendre la bouteille de champagne et de remplir leurs deux coupes.

Elle avait l’air un peu endormi, la bretelle de satin de sa nuisette à demi descendue sur son bras.

« Bois, chérie, dit-il.

— Pas moi, mamour. Je chante, ce soir, dit-elle avec un mouvement arrogant du menton. Je ne peux pas boire toute la journée comme certains que je connais. »

Elle arracha un peu de chair à la volaille rôtie disposée sur un plat et l’enfourna dans sa bouche. Sa jolie bouche.

« Quand je pense à ta cousine ! Elle n’a pas peur de cette foutue momie, elle va jusqu’à la mettre dans sa maison ! »

Ses grands yeux bleus stupides le fixaient. Tout ce qu’il aimait. Même s’il regrettait sincèrement Malenka, sa beauté égyptienne. Ce qu’il y a de bien avec les Orientales, c’est qu’elles n’ont pas à être stupides ; même intelligentes, elles sont très faciles à vivre. Alors que chez une fille comme Daisy, la stupidité est essentielle. Et il faut lui parler, lui parler, lui parler sans arrêt.

« Pourquoi diable aurait-elle peur de cette damnée momie ? dit-il d’un air irrité. Le problème, c’est qu’il va falloir tout donner au musée. Elle ne sait pas ce qu’est l’argent, ma cousine. Elle en a trop pour ça. Il m’a fait la charité et elle, il lui laisse un empire. C’est lui qui a…»

Il s’arrêta. La petite chambre, les rayons du soleil qui éclairent cette chose. Il la vit à nouveau. Il vit ce qu’il avait fait ! Non. Ce n’est pas vrai. Il est mort d’un arrêt du cœur ou d’un coup de sang, oui, c’est ça. L’homme allongé sur le sable du sol. Je ne suis pas responsable. Et cette créature qui regarderait à travers ses bandelettes, c’est absurde !

Il but un peu trop vite son champagne. Comme c’était bon. Il remplit encore une fois sa coupe.

« Quand même, avoir une momie chez soi », insista Daisy.

Soudain, violemment, il revit les yeux, derrière le lin pourri, qui le regardaient. Oui, qui le regardaient intensément. Arrête, imbécile, tu as fait ce que tu avais à faire ! Arrête, ou tu vas devenir fou !

Il se leva de table un peu gauchement, passa sa veste et remit en place sa cravate de soie.

« Où vas-tu ? demanda Daisy. Tu es un peu trop saoul pour sortir à cette heure, si tu veux mon avis.

— Je ne t’ai rien demandé. »

Elle savait où il allait. Il avait finalement réussi à extorquer cent livres à Randolph et le cercle de jeux était ouvert à présent. Il voulait être seul afin de se concentrer. Rien que de penser à l’éclairage tamisé, au bruit des dés et de la roulette, cela le mettait en joie. Un coup gagnant et il arrêterait, c’était promis. Avec cent livres pour commencer… Il ne pouvait pas attendre.

Bien sûr, il tomberait sur Sharples, et il lui devait beaucoup d’argent, mais comment pourrait-il le rembourser s’il ne retournait pas jouer, s’il ne sentait pas la chance avec lui ?

« Reste avec moi, lui dit Daisy. Bois un verre et repose-toi un peu, il est tout juste six heures.

— Laisse-moi tranquille ! »

Il passa son loden et mit ses gants de peau. Sharples. Cet individu stupide. Sharples. Il sentit dans la poche de son manteau le couteau qu’il avait avec lui depuis des années. Il le tira et en examina la lame d’acier.

« Oh, pas ça, dit Daisy dans un souffle.

— Ne sois pas idiote », dit-il en refermant le couteau et en se dirigeant vers la porte.

 

Plus de bruit, rien que le doux clapotement de la fontaine dans le jardin d’hiver. Le salon égyptien n’était éclairé que par l’abat-jour vert, sur le bureau de Lawrence.

Julie était assise dans le fauteuil de cuir de son père, le dos tourné au mur, dans son peignoir de soie doux et étonnamment chaud, la main posée sur le journal qu’elle n’avait pas encore lu.

Le masque brillant de Ramsès le Grand avait quelque chose d’effrayant avec ses grands yeux en amande. Le buste de marbre de Cléopâtre semblait resplendir. Et les pièces de monnaie étaient si belles dans leur écrin de velours noir.

Elle les avait soigneusement étudiées. Le même profil que le buste, la même chevelure sous la tiare d’or. Une Cléopâtre grecque, pas la risible image égyptienne qui illustre les programmes pour la tragédie de Shakespeare ou Vie des hommes illustres de Plutarque.

Le profil d’une belle femme ; forte, mais pas tragique. Forte ainsi que les Romains aimaient leurs héros et leurs héroïnes.

Les épais rouleaux de parchemin et de papyrus paraissaient frêles posés en tas sur la table de marbre. Les autres objets seraient tout aussi facilement abîmés par des mains maladroites. Des plumes, des encriers, un petit brûleur à huile avec un anneau destiné à supporter une ampoule de verre. Les fioles elles-mêmes posées juste à côté – exquis spécimens du travail du verre, avec leurs petits couvercles d’argent. Naturellement, toutes ces petites reliques, ainsi que la rangée de pots d’albâtre, étaient protégées par de petites étiquettes portant l’inscription : « Défense de toucher ».

Cela l’inquiétait malgré tout de savoir que tant de monde viendrait ici pour admirer ces merveilles.

« N’oubliez pas, c’est du poison ! » avait-elle dit à Oscar et Rita, ses indispensables domestiques. Cela avait suffi pour les faire fuir hors de la pièce !

« C’est un cadavre, mademoiselle, avait dit Rita. Un cadavre ! Même si c’est un roi d’Égypte. Moi, je dis qu’il faut laisser les morts tranquilles.

— Le British Museum est rempli de cadavres, Rita », lui avait répondu Julie en riant doucement.

Si seulement les morts pouvaient revenir. Si le spectre de son père pouvait venir la visiter. Imaginez pareil miracle. Le voir à nouveau, lui parler, entendre sa voix. Que s’est-il passé, père ? Avez-vous souffert ? Avez-vous eu peur pendant ne fût-ce qu’une seconde ?

Non, elle n’aurait pas craint ce genre de visite. Mais ce genre de chose n’arrive jamais. Notre chemin, du berceau à la tombe, est ponctué de tragédies mondaines. La splendeur du surnaturel n’est bonne que pour les légendes, les poèmes et les pièces de Shakespeare.

Le moment était venu de rester seule avec les trésors de son père et de lire les derniers mots qu’il avait écrits.

Elle tourna les pages jusqu’à la date de la découverte. Et les premiers mots qu’elle y lut lui emplirent les yeux de larmes.

 

Je dois écrire à Julie, tout lui décrire. Les hiéroglyphes de la porte ne comportent pratiquement pas une faute ; ils doivent avoir été écrits par quelqu’un qui savait pertinemment ce qu’il faisait. En revanche, le grec date de la période ptolémaïque. Le latin est sophistiqué. Impossible. C’est pourtant ainsi. Samir est anormalement superstitieux. Je devrais dormir quelques heures. Je m’y remettrai ce soir.

 

Il y avait un dessin à l’encre représentant la porte de la tombe. Elle se dépêcha de passer à la page suivante.

 

Neuf heures du soir. Dans la chambre, enfin. On dirait une bibliothèque plus qu’une tombe. L’homme a été déposé dans un cercueil royal auprès d’un bureau sur lequel il a laissé quelque treize rouleaux. Il écrit entièrement en latin, avec une hâte évidente, mais tout de même soigneusement. Il y a des gouttes d’encre un peu partout, mais le texte est des plus cohérents :

« Appelez-moi Ramsès le Damné. Car tel est le nom que je me suis donné. Mais j’étais jadis Ramsès le Grand de la Haute et de la Basse-Égypte, vainqueur des Hittites, père de nombreux fils et filles, à la tête de l’Égypte pendant soixante-quatre ans. Mes monuments sont toujours debout ; la stèle rappelle mes victoires, même si un millier d’années se sont écoulées depuis que j’ai été tiré, enfant mortel, du sein de ma mère.

« Ah, moment fatal aujourd’hui enfoui dans le temps, quand auprès d’une prêtresse hittite j’ai pris l’élixir maudit. J’aurais dû écouter ses avertissements. J’avais soif d’immortalité, et j’ai bu la potion. Et maintenant, les siècles ont passé – parmi les poisons de ma reine perdue, j’ai dissimulé la potion qu’elle n’a pas voulu accepter de mes mains. »

 

Julie s’arrêta. L’élixir, au milieu de tous ces poisons ? Elle comprit le sens des paroles de Samir. Les journaux n’avaient rien révélé de cette partie du mystère. Extraordinaire. Ces poisons cachent une formule qui accorde la vie éternelle.

« Mais qui pourrait inventer pareille histoire ? » murmura-t-elle.

Elle se prit à contempler le buste de marbre de Cléopâtre. L’immortalité. Pourquoi Cléopâtre n’avait-elle pas bu cette potion ? Ah, voilà qu’elle y croyait. Elle sourit.

Elle tourna la page du Journal. La traduction était interrompue. Son père s’était contenté d’écrire :

 

Il décrit comment Cléopâtre l’a tiré de son sommeil peuplé de songes, comment il l’a éduquée, aimée et vue séduire les gouvernants romains l’un après l’autre…

 

« Oui, murmura Julie, d’abord Jules César, puis Marc Antoine. Mais pourquoi ne pas prendre cet élixir ? »

Il y avait un autre paragraphe de traduction.

 

« Comment pourrais-je supporter plus longtemps ce fardeau ? Comment continuer d’endurer cette solitude ? Cependant je ne peux mourir. Ses poisons ne me font aucun mal. Ils prennent soin de mon élixir afin que je puisse rêver d’autres reines, belles et sages, et qu’elles partagent les siècles avec moi. Mais n’est-ce pas son visage que je vois ? Sa voix que j’entends ? Cléopâtre. Hier. Demain. Cléopâtre. »

 

Venait ensuite du latin. Plusieurs paragraphes en latin que Julie était incapable de déchiffrer. Même à l’aide d’un dictionnaire, elle n’aurait pu les traduire. C’étaient ensuite quelques lignes en égyptien démotique, langue encore plus impénétrable que le latin. Et rien d’autre.

Elle reposa le Journal. Elle lutta contre les inévitables larmes. C’était presque comme si elle pouvait sentir la présence de son père dans cette pièce. Quel avait dû être son enthousiasme à en juger d’après son écriture ! Que ce mystère était passionnant ! Quelque part, parmi tous ces poisons, un élixir conférait l’immortalité ? Il n’y avait pas besoin de prendre les choses au pied de la lettre pour les trouver belles. Voyez ce brûleur d’argent et cette ampoule délicate. Ramsès le Damné y avait cru. Son père peut-être aussi y avait cru. Et pour l’heure, elle aussi y croyait.

Elle se leva lentement et s’approcha de la longue table de marbre. Les rouleaux étaient si fragiles. Des fragments de papyrus étaient éparpillés çà et là. Les hommes les avaient retirés avec soin des caisses, mais ils les avaient tout de même endommagés. Elle n’osait pas y toucher. De toute façon, elle n’aurait pu les déchiffrer.

Quant aux pots, elle ne devait pas non plus y toucher. Que se passerait-il si du poison se renversait ou s’évaporait ?

Elle rencontra son reflet dans le miroir mural. Puis elle revint vers le bureau et ouvrit le Journal qui y était posé.

Antoine et Cléopâtre, la tragédie de Shakespeare, connaissait depuis pas mal de temps un beau succès à Londres. Alex et elle-même avaient projeté de s’y rendre, mais il est vrai qu’Alex s’endormait pendant les pièces sérieuses. Seules les opérettes de Gilbert et Sullivan plaisaient à Alex – même s’il tournait habituellement de l’œil vers la fin du troisième acte.

Elle lut l’annonce des représentations. Elle se leva et prit le Plutarque sur une étagère de la bibliothèque.

Quelle était l’histoire de Cléopâtre ? Plutarque ne lui avait pas consacré une biographie à part entière. Non, il ne parlait d’elle que dans celle de Marc Antoine.

Elle passa rapidement aux paragraphes dont elle avait un vague souvenir. Cléopâtre avait été une grande souveraine et ce que nous appellerions aujourd’hui une grande figure politique. Elle avait non seulement séduit César et Marc Antoine, mais elle avait tenu très longtemps l’Égypte à l’écart de la conquête romaine. Elle s’était donné la mort après le suicide de Marc Antoine et la victoire d’Octave. La soumission de l’Égypte à Rome était inévitable, mais elle avait fait de son mieux pour la retarder. S’il n’avait pas été assassiné, Jules César aurait peut-être fait de Cléopâtre son impératrice. S’il s’était montré un peu plus fort, Marc Antoine aurait renversé Octave.

Cléopâtre s’était révélée maîtresse du jeu jusqu’au bout. Octave voulait la conduire à Rome en tant que prisonnière royale. Elle l’avait trompé. Elle avait essayé des dizaines de poisons sur des condamnés, puis avait opté pour la morsure du serpent. Les gardes romains n’avaient pu empêcher son suicide. Octave prit possession de l’Égypte, mais il ne fut pas le maître de Cléopâtre.

Julie referma le livre avec une certaine révérence. Elle regarda les rangées de pots d’albâtre. Étaient-ce bien là les poisons évoqués ?

Elle posa les yeux sur le magnifique cercueil et s’abandonna à une étrange rêverie. Des cercueils tels que celui-ci, elle en avait déjà vu une centaine, au Caire ou ici. Elle en voyait depuis qu’elle était petite fille. Mais celui-ci abritait un homme qui se prétendait immortel. Qui clamait ne pas être plongé dans la mort lors de son enterrement, mais dans un « sommeil peuplé de songes ».

Quel était le secret de ce sommeil ? Comment pouvait-il en être tiré ? Et l’élixir ?

« Ramsès le Damné, murmura-t-elle. T’éveilleras-tu pour moi ainsi que tu l’as fait pour Cléopâtre ? T’éveilleras-tu pour un nouveau siècle de merveilles indescriptibles, même si ta reine est morte ? »

Pas de réponse, rien que le silence. Et les grands yeux doux du masque d’or du roi qui la regardaient fixement.

 

« C’est du vol ! dit Henry, incapable de contenir sa fureur. Cette chose n’a pas de prix ! »

Il avait les yeux rivés sur le petit homme assis à son bureau, dans l’arrière-boutique de l’officine de numismatique. Un misérable petit voleur, dans son univers sordide de vitrines crasseuses protégeant des pièces de monnaie comme des joyaux.

« Si elle est authentique, oui, répondit lentement l’homme. Mais dans ce cas, quelle est sa provenance ? Une pièce comme celle-ci, à l’effigie parfaite de Cléopâtre ? C’est ce qu’ils voudront savoir, vous savez, d’où elle vient. Et vous ne m’avez pas dit votre nom.

— Non, je ne vous l’ai pas dit. »

Exaspéré, il récupéra la pièce et la fourra dans sa poche. Il prit le temps de mettre ses gants. Combien lui restait-il ? Cinquante livres ? Il était furieux. Il claqua la porte derrière lui.

Le marchand demeura longtemps immobile. Il sentait toujours le poids de la pièce dans sa main. Depuis des années, il n’avait rien vu de tel. Il savait qu’elle était authentique et il pesta intérieurement contre lui-même.

Il aurait dû l’acheter ! Il aurait dû courir le risque. Mais il savait qu’elle était volée, et même pour la reine du Nil, il ne pouvait se résoudre à devenir voleur.

Il quitta son bureau et franchit les rideaux de serge poussiéreux qui séparaient sa boutique du minuscule salon où il passait la majeure partie de son temps. Son journal était resté là. Un titre s’étalait en première page :

 

LA MOMIE DE STRATFORD ET SA MALÉDICTION

ARRIVENT À LONDRES

 

Un dessin à l’encre montrait un jeune homme mince qui débarquait du HMS Melpomine accompagné de la momie du fameux Ramsès le Damné. Henry Stratford, le neveu de l’archéologue défunt, disait la légende. Oui, c’était bien l’homme qui venait de quitter sa boutique. Avait-il dérobé la pièce dans la tombe où son oncle était mort subitement ? Combien en avait-il pris en tout ? Le marchand était déconcerté : soulagé d’un côté, plein de regret de l’autre. Il se tourna vers le téléphone.

 

Midi. L’atmosphère de la salle à manger du club était feutrée et les rares membres qui y déjeunaient le faisaient seuls, en silence, à des tables couvertes de nappes blanches. Exactement ce que Randolph aimait, bien à l’écart des rues tapageuses ainsi que de la pression permanente et de la confusion de ses bureaux.

Il ne fut pas heureux de découvrir son fils dans l’encadrement de la porte, à une quinzaine de mètres de là. Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit, c’était évident. Henry était malgré tout rasé et vêtu de frais, Randolph ne pouvait le nier. Henry n’omettait jamais ces petits détails. En revanche, les problèmes majeurs lui échappaient totalement : il n’avait plus de vie propre, c’était un joueur et un buveur impénitent.

Randolph se consacra de nouveau à son potage.

Il ne leva pas les yeux quand son fils prit la chaise en face de lui et demanda au serveur de lui apporter « immédiatement » un scotch.

« Je t’ai dit de rester chez ta cousine, hier soir », dit Randolph, l’air sinistre. Encore une conversation qui n’allait déboucher sur rien. « Je t’ai laissé une clef.

— J’ai trouvé cette clef, merci, mais ma cousine s’arrange fort bien sans moi. Elle a sa momie pour lui tenir compagnie. »

Le serveur apporta le verre, que Henry vida d’un trait.

Randolph prit une autre cuillerée de potage.

« Pourquoi diable prenez-vous vos repas dans un tel endroit ? Cela fait des années qu’il n’est plus à la mode. Je ne connais rien de plus sinistre.

— Parle plus bas, je t’en prie.

— Pourquoi donc ? Tous les membres sont sourds. »

Randolph se cala au dossier de sa chaise. Il adressa un petit signe de tête au serveur, qui emporta l’assiette de potage.

« C’est mon club, et il me plaît ainsi », dit-il d’un air triste.

Superflue, cette conversation, comme toutes celles qu’il avait avec son fils. Il en aurait pleuré de voir que les mains de Henry tremblaient, qu’il avait les traits tirés et que ses yeux regardaient dans le vide – des yeux d’alcoolique.

« Apportez la bouteille », lança Henry au serveur sans même le regarder. Puis, à son père : « Il ne me reste que vingt livres.

— Je ne peux rien t’avancer ! dit Randolph avec lassitude. Tant qu’elle tiendra les rênes, la situation sera désespérée. Tu sembles ne pas comprendre.

— Vous me mentez. Je sais qu’elle a signé des papiers hier.

— Ton avance correspond déjà à un an de salaire.

— Père, il me faudrait cent…

— Si elle se penche sur les livres, je devrai tout lui avouer. Et la supplier de m’accorder une autre chance. »

Il se sentit soulagé d’avoir osé dire cela. Il contempla son fils avec un certain recul. Oui, il devrait peut-être tout dire à sa nièce et lui demander… son aide.

Henry ricanait.

« Vous allez implorer sa pitié. Comme c’est touchant ! »

Randolph détourna les yeux de son fils et porta son regard sur les rangées de tables blanches. Une silhouette grisonnante, courbée en deux, demeurait seule dans un coin de la salle. C’était le vieux vicomte Stephenson, propriétaire de vastes domaines et détenteur d’un beau compte en banque. Déjeunez en paix, mon ami, pensa Randolph.

« Que pouvons-nous faire d’autre ? dit-il doucement à son fils. Tu devrais venir au travail demain. Au moins, faire une apparition…»

Son fils l’écoutait-il, ce fils misérable qui n’avait pas de projets, pas d’avenir, pas de rêves ?

Cette pensée lui brisa le cœur. Toutes ces années au cours desquelles son fils n’avait connu que le désespoir et l’amertume…

« Très bien, je vais te donner ce que tu demandes. » Cent livres de plus ou de moins, quelle importance quand l’on n’a qu’un fils ?

 

Des circonstances sinistres, mais indéniablement passionnantes. Quand Elliott arriva, la maison Stratford était littéralement bondée. Il avait toujours aimé cette demeure, avec ses pièces inhabituellement vastes et son étonnant escalier central.

Toutes ces boiseries, toutes ces bibliothèques… L’atmosphère y était malgré tout joyeuse, avec ces papiers peints dorés et cet éclairage électrique à profusion. Mais la présence de Lawrence lui manquait cruellement. Chaque instant de leur amitié revenait le tourmenter, et le souvenir de leur aventure sentimentale le hantait cruellement.

Il avait toujours su que cela se terminerait ainsi. Mais, ce soir, il n’aurait voulu se trouver nulle part ailleurs sinon dans la maison de Lawrence pour la présentation officielle de Ramsès le Damné. Il écarta d’un geste ceux qui se précipitèrent vers lui et se fraya un chemin parmi les inconnus et les vieux amis. Sa jambe lui faisait mal, ce soir, l’humidité en était la cause. Heureusement, il ne resterait pas debout très longtemps. Et puis, il avait sa nouvelle canne de marche, élégant objet pourvu d’un pommeau d’argent.

« Merci, Oscar, dit-il avec son sourire habituel quand on lui proposa son premier verre de vin blanc.

— Vous arrivez juste à temps, lui dit Randolph. Ils vont nous montrer cette horreur. Venez. »

Elliott hocha la tête. Randolph avait l’air décomposé, c’était indubitable. La mort de Lawrence l’avait profondément marqué, mais il faisait de son mieux.

Ils se placèrent au premier rang et, pour la première fois, Elliott posa les yeux sur le cercueil fabuleux de la momie.

L’expression innocente, enfantine, du masque d’or le charma. Puis il porta son regard sur les inscriptions – des mots grecs et latins, dessinés ainsi que des hiéroglyphes égyptiens !

Hancock, du British Museum, réclama le silence en frappant sa petite cuillère contre un verre en cristal. Alex se tenait à ses côtés. Il enlaçait Julie, exquise dans ses vêtements de deuil ; ses cheveux tirés en arrière révélaient toute la pâleur de son visage et montraient au monde entier que ses traits n’avaient nul besoin d’artifices.

Leurs regards se croisèrent, et Elliott adressa à Julie un petit sourire mélancolique tandis qu’une flamme s’allumait dans les yeux de la jeune femme. D’une certaine façon, se dit-il, elle me préfère à mon fils. Quelle ironie ! Son fils paraissait dérouté par une telle scène, et peut-être l’était-il vraiment – c’était bien là le problème.

Samir Ibrahaim apparut subitement à la gauche de Hancock. Un autre vieil ami. Mais il ne vit pas Elliott. Non sans angoisse, il ordonna à deux jeunes hommes de se saisir du couvercle du cercueil et d’attendre ses instructions. Ils se tenaient les yeux baissés, comme s’ils étaient légèrement embarrassés par l’acte qu’ils allaient accomplir. L’assistance fit silence.

« Mesdames et messieurs », dit Samir. Les deux hommes soulevèrent le couvercle et le déplacèrent sans effort sur le côté. « Je vous présente Ramsès le Grand. »

La momie fut exposée aux yeux de tous, et chacun découvrit ce grand corps aux bras croisés sur la poitrine, cet homme chauve, apparemment, et nu sous les épaisses bandelettes aux couleurs passées.

L’assistance retint un cri. Dans la lumière dorée des chandeliers électriques et des rares candélabres, la forme avait quelque chose d’horrible, comme c’est toujours le cas.

Il y eut des applaudissements un peu gênés. Des frissonnements, un rire nerveux. Et puis, la masse des spectateurs se rompit, certains s’approchant pour mieux voir, d’autres reculant comme au contact du feu, d’autres encore détournant pudiquement les yeux.

Randolph soupira et secoua la tête.

« Il est mort pour ça, hein ? J’aimerais comprendre pourquoi.

— Ne soyez pas morbide », lui dit son voisin. Elliott ne parvenait pas à se rappeler son nom. « Lawrence était heureux…

— Il faisait ce qu’il aimait », murmura Elliott. Encore cette phrase… Il en aurait pleuré.

Lawrence aurait été heureux d’examiner son trésor. Lawrence aurait été heureux de traduire ces parchemins. La mort de Lawrence était une tragédie. Lawrence aurait été…

Elliott pressa doucement le bras de Randolph et l’abandonna pour se diriger lentement vers le cadavre vénérable de Ramsès.

On eût dit que la jeune génération s’était donné le mot pour l’empêcher d’approcher et faisait corps autour de Julie et d’Alex. Elliott saisit des bribes de phrase de la part de la jeune femme quand la conversation retomba à un niveau plus convenable.

«… une histoire tout à fait remarquable, expliquait Julie. Mais père venait à peine d’entamer la traduction des papyrus. J’aimerais connaître votre opinion, Elliott.

— À quel propos, ma chère ? » Il venait d’atteindre la momie et en contemplait le visage, émerveillé de pouvoir discerner une expression sous l’épaisseur des linges en décomposition. Il prit Julie par la main. Les autres se pressaient pour mieux voir, mais il ne céda pas de terrain.

« Votre opinion à propos de tout ce mystère, reprit-elle. Est-ce un cercueil de la dix-neuvième dynastie ? Comment a-t-il pu être fabriqué à l’époque romaine ? Vous savez, père m’a dit jadis que vous en saviez plus en matière d’archéologie que tous les spécialistes du musée. »

Il rit sous cape, et elle regarda autour d’elle pour s’assurer que Hancock n’était pas à proximité. Dieu merci, il se trouvait à présent prisonnier de la foule des curieux et les renseignait sur les papyrus et les pots d’albâtre disposés le long du mur.

« Qu’en pensez-vous ? » dit à nouveau Julie. Tant de sérieux et de charme mêlés.

« Il ne peut s’agir de Ramsès le Grand, ma chère, dit-il, mais cela, vous le savez déjà. » Il étudia à nouveau le couvercle peint ainsi que le corps niché dans ses étoffes poussiéreuses. « Un excellent travail, je dois l’avouer. Il n’y a pratiquement pas de substances chimiques. Cela ne sent pas non plus le bitume.

— Il n’y a pas de bitume », dit brusquement Samir.

Il se tenait à la gauche d’Elliott, et ce dernier ne l’avait même pas remarqué.

« Et que faites-vous de cela ? lui demanda Elliott.

— Le roi nous a donné ses propres explications, dit Samir. C’est ce que Lawrence m’a expliqué. Ramsès s’est fait envelopper selon le rite habituel, mais il n’a pas été embaumé. Il n’a jamais quitté la cellule où il a rédigé cette histoire.

— Quelle idée surprenante ! s’écria Elliott. Avez-vous lu vous-même les inscriptions ? » Il posa le doigt sur les mots latins et traduisit : « Que le soleil ne brille jamais sur mes restes ; car dans les ténèbres je dors ; au-delà de toute souffrance ; au-delà de toute connaissance… Ce ne sont pas là des sentiments très égyptiens, vous en conviendrez. »

Le visage de Samir s’assombrit quand il regarda les lettres minuscules.

« Il y a des avertissements et des malédictions un peu partout. J’étais curieux avant l’ouverture de cette tombe étrange.

— Et maintenant vous avez peur. » Voilà qui était dur à dire, mais qui était vrai. Julie était captivée.

« Elliott, j’aimerais que vous lisiez les notes de père, dit-elle, avant que le musée n’enferme tout dans ses réserves. Cet homme ne prétend pas seulement être Ramsès. Il y a bien d’autres choses.

— Vous ne faites tout de même pas allusion à ces stupidités que racontent les journaux ? lui demanda-t-il. Son caractère immortel, son amour pour Cléopâtre. »

Étrange, la façon dont elle le regardait. « Père a traduit une partie des textes, répéta-t-elle. J’ai son carnet. Il est sur son bureau. Samir sera d’accord avec moi, je pense. Vous trouverez cela intéressant. »

Mais Samir était entraîné par Hancock et un autre individu. Et Julie fut abordée par Lady Treadwell. Ne redoutait-elle pas les malédictions ? Elliott sentit la main de la jeune femme l’abandonner. Le vieux Winslow Baker voulait parler à Elliott sur-le-champ. Non, laissez-moi, je vous prie. Une grande femme aux joues fanées et aux longues mains pâles se planta devant le cercueil et demanda si tout cela n’était pas qu’un immense canular.

« Certainement pas ! dit Baker. Lawrence a toujours été honnête, j’en mettrais ma main au feu. »

Elliott sourit. « Dès que le musée aura ôté ces bandelettes, ils pourront dater précisément les restes. Ils auront une preuve interne, si je puis dire.

— Lord Rutherford, je ne vous avais pas reconnu ! » dit la femme.

Mon Dieu, était-il censé la connaître ? Quelqu’un était passé devant elle, tout le monde voulait voir cette chose. Il aurait dû s’écarter, mais il ne le voulait pas.

« Je ne supporte pas l’idée qu’ils puissent le disséquer, dit Julie dans un souffle. C’est la première fois que je le vois, je n’ai pas osé déplacer seule le couvercle.

— Venez, ma chérie, il y a un vieil ami que j’aimerais vous présenter, dit soudain Alex. Ah, père, vous êtes là ? Vous voulez que je vous apporte une chaise ?

— J’y arriverai, Alex, je te remercie », répondit Elliott. Il faut dire qu’il était habitué à la douleur. On eût dit que de minuscules poignards s’enfonçaient entre ses articulations. Ce soir, même ses doigts le faisaient souffrir, mais il réussissait de temps à autre à oublier cette désagréable impression.

Et maintenant, il ne voyait plus les hommes et les femmes qui lui tournaient le dos et se trouvait seul en compagnie de Ramsès le Damné. Quel instant !

Il ferma à demi les yeux en s’approchant très près du visage de la momie. Étonnamment bien formé, pas le moins du monde desséché. En aucun cas celui du vieillard que Ramsès aurait été après soixante années de règne.

La bouche était celle d’un jeune homme, ou du moins celle d’un individu dans la fleur de l’âge. Le nez était étroit, mais pas émacié – aristocratique, comme disaient les Anglais. Les arcades sourcilières étaient proéminentes et les yeux eux-mêmes n’avaient pas dû être petits. Un bel homme, probablement. Très certainement, même.

Quelqu’un dit avec humeur que cette chose devrait être dans un musée. Un autre qu’elle était absolument dégoûtante. C’étaient donc là les amis de Lawrence ? Hancock examinait les pièces d’or disposées sur le présentoir de velours. Samir se tenait à ses côtés.

« Il y en avait cinq, rien que cinq ? Vous en êtes bien sûr ? » Il parlait si fort qu’on eût cru que Samir était sourd.

« Tout à fait certain, je puis vous l’assurer, dit Samir non sans irritation. J’ai établi personnellement le contenu de la chambre. »

Hancock porta son regard vers un personnage qui se trouvait de l’autre côté de la pièce. Elliott vit qu’il s’agissait de Henry Stratford. Il avait belle allure, avec sa veste gris perle et sa cravate de soie noire. Il riait et parlait assez nerveusement, semblait-il, avec Alex, Julie et cette horde de jeunes gens qu’il méprisait secrètement.

Il était toujours aussi beau, se dit Elliott. Aussi beau que lorsqu’il avait vingt ans, mais, à présent, ce visage élégant et étroit avait troqué la vulnérabilité contre une certaine malveillance.

Pourquoi Hancock le regardait-il de la sorte ? Et que soufflait-il à l’oreille de Samir ? Ce dernier fixa longuement Hancock, avant de hausser nonchalamment les épaules et de s’intéresser à son tour à Henry.

Comme Samir devait mépriser tout ceci ! pensa Elliott. Comme il devait mépriser ce costume occidental si peu confortable ! Il aime porter sa djellaba de soie et ses babouches, et il devrait les avoir aujourd’hui. Quels barbares nous faisons !

Elliott se dirigea vers le coin le plus éloigné de la pièce et s’installa dans le fauteuil de cuir de Lawrence. La foule s’ouvrait et se refermait sur un Henry qui cherchait à s’éloigner des autres et jetait des œillades de toutes parts. Très discrètement, pas du tout comme un traître de théâtre, mais avec une idée en tête, c’était évident.

Henry passa lentement devant la table de marbre, la main tendue comme pour effleurer les rouleaux anciens. La foule se referma à nouveau, et Elliott se contenta d’attendre. Le petit groupe rassemblé devant lui finit par se dissoudre, et Henry se tenait là, à quelques mètres, qui caressait du regard un collier posé sur une étagère de verre, une de ces innombrables reliques rapportées par Lawrence plusieurs années plus tôt.

Quelqu’un vit-il Henry s’emparer du collier et le regarder amoureusement ainsi que le ferait un antiquaire ? Quelqu’un le vit-il le glisser dans sa poche et s’éloigner, blafard, la bouche pincée ?

Le scélérat.

Elliott se contenta de sourire. Il but une gorgée de vin blanc très frais en regrettant que ce ne fût pas du sherry. Il aurait voulu ne pas assister à ce menu larcin. Il aurait voulu ne pas voir Henry.

Les souvenirs qu’il avait de Henry n’avaient jamais perdu l’aspect pénible qui les caractérisait, peut-être parce qu’il n’avait jamais confessé à quiconque ce qui s’était réellement passé. Pas même à Édith, à qui il avait pourtant avoué des choses sordides, poussé par le vin et la philosophie ; et pas aux prêtres catholiques avec qui il parlait parfois avec une véhémence étonnante du ciel et de l’enfer.

Il s’était toujours dit que le temps lui permettrait d’oublier ces événements terribles, mais dix années s’étaient écoulées, et ils étaient toujours aussi présents.

Il avait aimé Henry Stratford. Et ce dernier avait été le seul amant d’Elliott à oser le faire chanter.

Naturellement, il avait piteusement échoué. Elliott lui avait ri au nez. « Vais-je aller tout raconter à ton père ? Ou à ton oncle Lawrence peut-être ? Il sera furieux après moi… pendant cinq minutes, tout au plus. Mais toi, son neveu préféré, il te méprisera jusqu’au dernier jour parce que je lui dirai tout, vois-tu ? Jusqu’au montant de la somme que tu as essayé de me soutirer. »

Henry avait été cruellement humilié. Mais il ne s’en était pas tenu là. Les chapardages avaient commencé. Une heure après le départ de Henry, Elliott avait constaté la disparition de son étui à cigarettes, de son porte-billets et de tout son argent liquide. Sa robe de chambre n’était plus là, ses boutons de manchettes, ainsi que d’autres objets dont il n’avait plus le souvenir à présent.

Il n’avait jamais pu se résoudre à évoquer toute l’étendue du désastre. Mais, maintenant, il aurait aimé pincer Henry, se glisser à côté de lui et lui parler du collier qui venait de trouver le chemin de sa poche. Henry le rangerait-il avec l’étui à cigarettes en or et les boutons de manchettes, ou bien l’apporterait-il au même prêteur sur gages ?

Tout cela était d’une tristesse. Henry avait été un jeune homme comblé, mais il avait mal tourné, malgré l’éducation, le sang et d’innombrables occasions. Il s’était mis à jouer alors qu’il était encore très jeune ; son alcoolisme avait pris une forme chronique dès vingt-cinq ans ; et aujourd’hui, à trente-deux ans, il arborait en permanence un air sinistre qui le rendait étrangement répugnant. Qui pâtissait de tout cela ? Randolph, bien entendu, qui se croyait dur comme fer responsable des tares de son fils.

Mais au diable Henry ! C’était la momie qu’Elliott était venu voir. Et les curieux s’étaient un peu dispersés. Il prit un verre de vin, se leva et oublia sa hanche douloureuse pour se diriger vers le cercueil.

Il contempla à nouveau le visage avec sa bouche bien dessinée et son menton décidé. Un homme dans la force de l’âge. Des cheveux apparaissaient sous les bandelettes tendues.

Il leva son verre pour le saluer.

« Ramsès », murmura-t-il en s’approchant davantage. Il se mit alors à lui parler latin : « Bienvenue à Londres. Sais-tu où se trouve cette ville ? » Il ne put s’empêcher de sourire. Voilà qu’il parlait latin à une momie. Puis il cita quelques phrases de César relatives à sa conquête de l’Angleterre. « Voilà où tu te trouves, grand roi. » Il s’essaya au grec, mais y renonça très vite et revint au latin. « J’espère que tu aimes mieux que moi ce pays. »

Un bruissement soudain se fit entendre. D’où provenait-il ? Il l’avait entendu très distinctement en dépit du brouhaha incessant des conversations. On eût dit qu’il émanait du cercueil dressé devant lui.

Une fois encore, il admira le visage. Puis les bras et les mains, emprisonnés sous le lin pourri. L’étoffe salie était déchirée à hauteur des poignets croisés et révélait une partie des vêtements. La momie était en train de se détériorer, de petits parasites avaient dû s’en emparer. Il fallait prendre des mesures.

Il regarda les pieds de la momie. C’était vraiment inquiétant. Un petit tas de poussière était en train de se former sous la main droite, à l’endroit où les bandelettes étaient vraiment détériorées.

« Seigneur, Julie doit se dépêcher de remettre tout cela au musée », murmura-t-il. Puis il entendit à nouveau le bruissement. Il fallait s’occuper très vite de cette momie. Dieu sait ce que l’humidité londonienne pouvait bien lui faire.

Il parla une nouvelle fois latin à la momie. « Moi non plus, je n’aime pas ce climat, grand roi. Il me fait souffrir. Et c’est pour cela que je rentre chez moi et te laisse à tes adorateurs. »

Il pivota sur ses talons et s’appuya lourdement sur sa canne, pour soulager un peu sa hanche. Il lança un ultime regard par-dessus son épaule. Cette chose avait l’air si robuste, comme si la chaleur de l’Égypte n’avait pas réussi à la dessécher entièrement.

 

Daisy caressait le petit collier dont Henry manipulait le fermoir. Sa loge était pleine de fleurs, de bouteilles de vin rouge, de champagne et d’autres offrandes, mais aucun de ses donateurs n’était aussi beau que Henry Stratford.

« Il est drôle, je trouve », dit-elle, la tête penchée sur le côté. Une chaînette en or et une petite breloque décorée. « Où l’as-tu déniché ?

— Il vaut bien plus que la cochonnerie que tu portais avant », dit Henry avec un sourire. Il avait la voix pâteuse. Une fois de plus, il était ivre. Cela signifiait qu’il serait méchant ou très, très gentil. « Allez, viens, ma poule, on va aller chez Flint. Je sens que la chance est avec moi et j’ai là cent livres qui me brûlent la poche.

— Tu ne vas tout de même pas laisser ta cousine toute seule avec cette horreur.

— Qu’est-ce que ça peut faire ? »

Il s’empara de la cape de renard argenté qu’il lui avait offerte et la lui jeta sur les épaules, puis ils quittèrent la loge et se dirigèrent vers l’entrée des artistes.

Il y avait un monde fou chez Flint. Elle détestait la fumée et l’odeur âcre de l’alcool, mais cela l’amusait toujours d’être avec lui quand il avait de l’argent. Il l’embrassa sur la joue et l’entraîna vers la roulette.

« Tu sais ce qu’il faut faire. Mets-toi à ma gauche et ne bouge pas de là, ça me portera bonheur. »

Elle hocha la tête. Les femmes présentes dans la salle de jeux étaient chargées de bijoux, et elle ne portait que ce ridicule petit collier. Cela la rendait nerveuse.

 

Julie sursauta. Quel était donc ce bruit ? Elle se trouva quelque peu embarrassée, seule dans la bibliothèque à cette heure tardive.

Il n’y avait personne d’autre avec elle, mais elle aurait juré… Non, ce n’était pas un bruit de pas.

Elle regarda la momie couchée dans son cercueil. Dans la pénombre, elle paraissait recouverte d’une pellicule de cendres. Elle avait une expression des plus graves, qu’elle n’avait pas remarquée auparavant. Comme quelqu’un qui se débat en plein cauchemar. Elle distinguait presque une ride sur son front.

Était-elle heureuse que l’on n’ait pas remis en place le couvercle ? Elle n’en savait trop rien. De toute façon, il était trop tard. Elle avait juré de ne toucher à rien. Et puis, elle devait aller se coucher, elle était littéralement épuisée. Les vieux amis de son père s’étaient attardés. Les reporters avaient ensuite fait irruption. Quelle incroyable effronterie ! Les gardes avaient dû les chasser, mais ils avaient tout de même réussi à prendre plusieurs photos de la momie.

Une heure sonnait à l’horloge. Et Julie était seule. Dans ce cas, pourquoi tremblait-elle ? Elle courut jusqu’à la porte afin de mettre le verrou, puis elle se souvint de Henry. Il était censé la protéger, la chaperonner. Étrange qu’il ne lui eût pas adressé une parole aimable depuis son arrivée…

 

Il faisait très froid quand il sortit dans la rue déserte. Il se hâta d’enfiler ses gants.

Il n’aurait pas dû la gifler, c’est vrai. Mais elle n’aurait pas dû lui parler ainsi. Il savait ce qu’il faisait. À dix reprises, il avait joué quitte ou double. Seulement, au dernier coup… Et puis, quand il s’était mis à discuter au moment de signer une reconnaissance de dettes, elle était intervenue. Tout le monde le regardait. Et Sharples était là.

Ce même Sharples qui se matérialisait devant lui, dans le brouillard. Une fenêtre projeta sa lueur sur son visage marqué par la petite vérole.

« Fichez le camp de là, dit Henry Stratford.

— Vous n’avez pas eu de chance, monsieur ? » Sharples marchait à sa hauteur. « Et la petite dame vous coûte beaucoup d’argent. Elle a toujours été très chère, monsieur, même à l’époque où elle travaillait pour moi. Et je suis très généreux, vous savez.

— Laissez-moi tranquille, misérable ! » Il pressa le pas. Devant lui, le bec de gaz était éteint. Et il n’y avait pas de taxi à cette heure.

« Pas sans un petit cadeau de votre part, monsieur. »

Henry s’arrêta. La pièce à l’effigie de Cléopâtre. Cet imbécile en apprécierait-il la valeur ? Il sentit les doigts de l’homme se refermer sur son bras.

« Comment osez-vous ? » Il s’écarta. Puis, lentement, il tira la pièce de sa poche et la présenta à l’homme, dans la paume de sa main.

« Mais c’est splendide, monsieur. Une vraie merveille ar… chéolo… gique ! » Il prit la pièce et la retourna, comme si les inscriptions avaient quelque sens pour lui. « Vous l’avez volée, hein, monsieur ? Dans le trésor de votre oncle, c’est bien ça ?

— C’est à prendre ou à laisser ! »

Sharples referma la main sur la pièce avec la prestance d’un illusionniste.

« Je vois que vous n’êtes pas gêné, monsieur. » Il la mit dans sa poche. « Il rendait son dernier souffle quand vous la lui avez prise ? Ou est-ce que vous avez attendu qu’il passe l’arme à gauche ?

— Allez au diable.

— Ça ne suffira pas, monsieur. Pensez à tout ce que vous me devez ainsi qu’à ces messieurs. »

Henry fit demi-tour ; il remit en place son chapeau et pressa le pas. Derrière lui, les talons de Sharples claquaient sur le pavé. Il n’y avait personne dans la rue, et le rai de lumière sous la porte de chez Flint n’était plus visible.

Il entendit Sharples se rapprocher. Il plongea la main dans la poche de son manteau. Son couteau. Lentement, il le tira, l’ouvrit et le serra entre ses doigts.

La main de Sharples se posa sur son épaule.

« Je crois que vous auriez besoin d’une petite leçon…»

La main de Sharples se fit plus dure, mais Henry pivota et lança son genou dans le ventre de l’homme afin de le déséquilibrer. Henry regarda la soie brillante de la veste, là où la lame s’enfoncerait entre les côtes. Il frappa sans hésitation. L’autre ouvrit la bouche pour pousser un cri.

« Imbécile, je t’avais prévenu ! »

Henry arracha son couteau et frappa à nouveau.

L’homme tituba avant de tomber à genoux. Ses épaules s’affaissèrent et il roula sur le côté.

Henry ne parvenait pas à voir son visage à cause de l’obscurité. Il ne distinguait que cette forme inerte, sur le pavé. Le froid glacial de la nuit le paralysait. Le sang battit à ses oreilles. Il avait éprouvé la même sensation là-bas, en Égypte, dans la chambre funéraire.

Tant pis pour lui ! Il n’aurait pas dû me défier ! La colère l’étouffait. Il ne pouvait bouger la main droite, paralysée par le froid en dépit du gant. De la main gauche, il referma la lame.

Il regarda autour de lui. Rien que les ténèbres et le silence. Le bruit lointain d’une automobile, peut-être. De l’eau coulait comme d’une gouttière endommagée. Le ciel avait pris une teinte ardoise.

Il se mit à genoux et tendit la main vers la veste de soie en prenant bien soin de ne pas toucher la grande tache humide qui s’y étalait. Il palpa et trouva le portefeuille de l’homme, bourré, plein d’argent !

Il n’en examina pas le contenu et se contenta de le ranger dans la même poche que le couteau. Puis il partit à grandes enjambées sonores. Il sifflota même un air.

Plus tard, confortablement installé à l’arrière d’un taxi, il examina le portefeuille. Trois cents livres. Ce n’était pas si mal. Mais la panique s’empara de lui et il sombra dans un profond désespoir.

Trois cents livres. Ce n’était pas pour cette somme qu’il avait tué Sharples. Il était d’ailleurs incapable de tuer qui que ce fût. Son oncle Lawrence avait succombé à une attaque. Quant à Sharples, cet usurier méprisable dont il avait fait un soir la connaissance chez Flint, eh bien, l’un de ses semblables l’avait descendu. Une rue sombre, un couteau entre les côtes, et voilà.

Voilà ce qui s’était bel et bien passé. Qui pourrait établir un lien entre lui et une affaire aussi sordide ?

Il était Henry Stratford, vice-président de la Stratford Shipping, membre d’une famille distinguée qu’un mariage allait bientôt allier au comte de Rutherford. Personne n’oserait…

Il rendrait visite à sa cousine. Il lui expliquerait sa malchance au jeu. Elle lui offrirait certainement une somme coquette, trois fois plus peut-être que ce qu’il avait en main, parce qu’elle comprendrait fort bien le caractère temporaire de cette gêne.

Sa cousine, sa sœur unique. Jadis, ils s’étaient aimés, Julie et lui. Ils s’étaient aimés comme seuls peuvent le faire un frère et une sœur. Il le lui rappellerait. Elle ne lui ferait pas d’ennuis et il pourrait se reposer un peu.

Depuis peu, c’était cela le pire : il n’arrivait pas à trouver le repos.

 

La Momie
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